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Jérôme Heim

Quelle reconnaissance pour le travail dissimulé ? Une sociologie du rapport moral aux règles formelles dans les activités économiques informelles

Thèse acceptée le 23 octobre 2013 avec la mention « summa cum laude » à l'unanimité du jury :
M. François Hainard, Professeur à l’Université de Neuchâtel, directeur de thèse ;
M. Stéphane Rossini, Chargé de cours aux Universités de Genève et de Neuchâtel, rapporteur ;
M. Olivier Voirol, Maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne, rapporteur ;
Mme Florence Weber, Professeur à l’Ecole normale supérieure de Paris, rapporteur.

Jérôme Heim est adjoint scientifique à l’Institut du Management des Villes et du Territoire. Il travaille actuellement à divers projets de recherche appliquée en lien avec la mobilité douce, le marketing territorial, l’économie de la culture ou l’aménagement urbain, dont certains dans une perspective intercantonale et internationale. Il est en outre engagé dans des projets relatifs à la réhabilitation de l’habitat construit et s’intéresse aux enjeux patrimoniaux et urbanistiques que ceux-ci revêtent.

Cette thèse est un travail complémentaire à celui réalisé par une équipe de l’Institut de Sociologie de l’Université de Neuchâtel (Heim, Ischer, & Hainard, 2011) et qui avait pour ambition d’investiguer les raisons qui conduisent des individus à recourir au travail dissimulé, leurs modes d’accès et d’organisations de ces pratiques, les apports et inconvénients pour ceux qui s’y adonnent et ce qui les inciterait éventuellement à y renoncer. Il s’agissait d’analyser dans quelle mesure l’exercice d’un travail au noir représente une alternative à la précarité économique et, partant, à la désaffiliation professionnelle. Une des observations majeures de cette première enquête concernait l’encastrement des activités économiques non officielles dans l’économie dite formelle, tant au niveau des modalités d’organisation de ces pratiques (accès, fonctionnement, etc.) que des logiques qui président à leurs recours. En effet, un travail dissimulé est avant tout motivé par la poursuite d’une activité professionnelle, par l’insertion dans le monde du travail et par l’obtention d’un revenu suffisant pour subvenir à des obligations financières et accéder à un niveau de vie jugé décent.
Dans le but de mieux comprendre le recours au travail dissimulé par des personnes qui disposent de toutes les autorisations nécessaires pour travailler légalement, la présente thèse approfondit le rapport aux règles formelles entretenu par les acteurs d’activités économiques non officielles. Loin de se réduire à un rapport instrumental qui supposerait une stratégie élaborée avec rationalité dans le but de frauder l’Etat, cette relation apparaît davantage comme une tactique (de Certeau, 1990) visant à saisir des opportunités de travail qui s’avèrent finalement non déclarées. Or, si les personnes acceptent ou façonnent elles-mêmes ces conditions, c’est parce qu’elles suscitent l’espoir de réparer des attentes vis-à-vis du monde du travail qui ont été déçues. En effet, les entretiens contiennent tous la description de déceptions quant à la satisfaction au travail et au revenu que celui-ci procure pour subvenir aux besoins quotidiens et permettre de s’épanouir personnellement. Au-delà de la diversité des raisons énoncées par les personnes rencontrées, nous pouvons donc interpréter le recours à ces pratiques informelles comme une recherche de reconnaissance dont la motivation trouve sa source dans l’expérience d’une attente morale qui auraient été déçue (Honneth, 2000). Le travail dissimulé viendrait alors contrebalancer un sentiment d’injustice.
Néanmoins, s’ils violent les lois du marché du travail, les travailleurs au noir tendent à se conformer aux normes de l’employabilité valorisées par l’organisation du travail par projet (Boltanski et Chiapello, 1999). Or, si ces manières de faire contribuent à apporter une certaine reconnaissance d’estime sociale à ceux qui y recourent en favorisant le fonctionnement du jeu économique et donc la performance marchande, cette reconnaissance n’est pas pleine et entière. Par son illégalité, le travail au noir est, d’une part, sujet à des risques d’insécurité en raison de l’absence de couverture sociale et, d’autre part, en rupture avec la reconnaissance juridique qui veut que chacun se conforme aux règles démocratiques. Ces personnes sont donc susceptibles d’être sanctionnées pénalement pour leurs agissements. Mais surtout, cette reconnaissance d’estime sociale conférée par l’exercice d’une activité non déclarée n’est qu’idéologique car elle ne garantit pas les conditions concrètes de possibilités pour se réaliser soi-même dans l’exercice d’une activité professionnelle et améliorer durablement un niveau de vie pour permettre à une personne de s’épanouir personnellement en dehors de son activité professionnelle.

Mots Clés – Keywords

Travail dissimulé, travail au noir, économie informelle, reconnaissance, sociologie économique, pauvreté laborieuse, Etat-providence
Undeclared work, informal economy, recognition, economic sociology, working poverty, welfare state

 

Docteur en sciences humaines et sociales