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L’espace public : un espace de revendications féministes

Le Collectif neuchâtelois de la « Grève des femmes » cherche à lutter contre les inégalités existantes à l’égard des femmes. Il le fait en utilisant divers mécanismes visant à s’approprier l’espace public physique et virtuel. L'espace physique correspond par exemple à une place publique, à une rue au centre-ville. L'espace virtuel renvoie à l’utilisation d’Internet et des plateformes numériques. Ces deux espaces sont investis par le collectif pour mettre en lumière leurs revendications durant les mobilisations. Nous allons voir la manière dont ses espaces s’imbriquent pour constituer des espaces de revendications féministes.

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Figure 1 : Logo du Collectif neuchâtelois du 14 juin 2019
© Ally bing

Les logiques d’appropriation de l’espace public physique

Le Collectif neuchâtelois permet d’organiser et de coordonner les mouvements sociaux féministes notamment le 14 juin et le 8 mars. Ces derniers sont définis comme « des formes particulières d’action collective » caractérisées par l’engagement de ses membres, par les stratégies mises en place, les ressources employées en vue de la mobilisation et par la formation d’une identité commune. La compréhension de ce terme permet de saisir les logiques d’appropriation de l’espace public physique employées par le collectif durant ces mobilisations. Nous les expliquons de manière plus détaillée ici.

L’engagement au sein du collectif

Au niveau de la motivation qui conduit les femmes à participer aux manifestations publiques, Il est possible d’évoquer l’existence d’un lien entre le fait de se revendiquer féministe et celui de militer pour la cause des femmes. Le courant féministe serait à l’origine de l’engagement des femmes au sein du collectif. Les femmes qui deviennent membres du collectif partagent toutes le sentiment de ne pas être d’accord avec les règles établies dans la société à l’égard des femmes. Cette revendication commune réunie des femmes venant de divers horizons pour participer aux mobilisations organisées par le collectif, créant ainsi un espace politique où elles peuvent s’exprimer, être entendues et se sentir soutenues par d’autres femmes.

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Figure 2 : les femmes et les hommes solidaires sont invités à défiler le 8 mars à Neuchâtel
© RTN (photo : archives)

Les stratégies de l’action collective

Nous proposons ici de détaillez les différentes logiques d’appropriation de l’espace public physique employées par le Collectif neuchâtelois pour réussir à occuper pleinement cet espace durant les manifestations. Celles-ci sont les suivantes : le bruit comme des cris et des chants, l’écriture sur les pancartes avec des messages percutants et sur le sol avec la craie rose et violette, mais aussi à travers la présence des corps dans l’espace et de la mise en lumière du corps de la femme comme un symbole de libération et de revendications féministes.

Le bruit et le chant

Le recours au bruit peut s’exprimer de différentes façons, que ce soit par le cri, la chanson ou simplement élever le ton de la voix. En effet, faire du bruit est une manière de s’opposer contre les normes sociales imposées aux femmes : « aux femmes on leur apprend à être calmes, à se faire petites et à s’effacer (…) c’est une des façons les plus simples et efficaces de rappeler que non, qu’il n’a pas de raison, qu’on peut être comme ça et différemment » (J). Durant les ateliers organisés par le collectif, les femmes pratiquent le « cri de l’utérus » et les chants comme le « 14 juin nous y voilà ». Ces actions contribuent non seulement à renforcer l’identité collective du groupe, mais aussi encourage les femmes militantes à investir l’espace publique physique au moyen du bruit.

L’écriture sur des pancartes et sur le sol

L’écriture à travers des pancartes ou le sol permet d’interpeller plus passivement qu’avec le bruit, les militantes exposent des messages percutants sur les pancartes durant les mobilisations du Collectif neuchâtelois. Ces messages contiennent des propos parfois touchants et sensibles non seulement aux yeux des autres manifestantes mais aussi aux yeux des spectateurs de la mobilisation. Il s’agit d’une action collective qui renforce la capacité des femmes militantes à dévoiler des expériences passées : « j’avais écrit “j’ai subi des attouchements à l’école” et ça a fait un froid, car direct ça fait haa en fait on n’est pas là pour rire » (H). Le courage des femmes à exposer ce type de message se voit renforcer par l’effet du groupe car les militantes se sentent accompagnées dans leurs démarches.

L’investissement du corps dans l’espace

Le corps est vu comme un moyen pour se mobiliser dans la scène publique et pour se rendre visible aux yeux des spectateurs. Lorsque les femmes sont nombreuses à manifester, elles se sentent gagner en confiance. L’effet du groupe qui se produit durant les mobilisations encourage les militantes à s’approprier l’espace public au moyen de diverses stratégies qui visent à créer un impact : « une manifestation seule n’a pas de sens, mais à plusieurs, oui » (H). En outre, le corps des femmes est mobilisé d’une manière symbolique. Durant le mouvement féministe, les parties du corps féminin peuvent être exposées, comme les seins nus, en tant que symbole de liberté, de force et d’union pour les femmes du collectif.

La formation d’une identité commune

Le Collectif neuchâtelois a pour but de créer des liens entre les femmes militantes à travers le partage des expériences et des valeurs communes. Dans ce sens, toutes les actions collectives planifiées par le collectif mentionnées ci-dessus vont contribuer à forger une identité commune. De ce fait, les femmes militantes qui se reconnaissent réciproquement se sentent plus confiantes à s’exposer dans l’espace public parce qu’elles savent qu’elles sont soutenues par d’autres femmes : « dans le cas d’une manif, plus on est nombreuses plus on se sent fortes quoi » (H). Ainsi, le collectif joue un rôle rassembleur, avant, pendant, et après la manifestation en créant des liens.

Les logiques d’appropriation de l’espace public virtuel

Avec l’avènement d’Internet, de nouvelles manières se sont développées pour manifester dans l’espace public virtuel. Il s’agit d’une alternative pour militer en ligne. Il s’agit d’une forme d’engagement collectif attaché au principe de la « liberté de circulation d’information » du Web. Le terme de cybermilitantisme ou de militantisme numérique a permis d’étudier les logiques d’investissement propre à l’espace public virtuel. À travers l’exemple du mouvement « MeToo », il est possible de penser à l’impact actuel de la communication digitale dans le cas des revendications féministes. La prise de parole des femmes s’est vu encouragée et leurs témoignages diffusés à large échelle sur la question des agressions sexuelles. Dans le cas du collectif, nous avons décidé d’observer l’utilisation du réseau social Facebook.

La communication sur le compte Facebook personnel des militantes

L’utilisation du compte personnel Facebook dépend largement des interlocutrices et de l’importance qu’elles attribuent à la communication digitale. Pour une des militantes, la diffusion d’un message passe avant tout par la parole. Même si elles peuvent relayer les messages du collectif de temps à autre ce n’est pas la raison principale pour laquelle elles utilisent leurs comptes Facebook. Les femmes du collectif perçoivent le réseau social Facebook comme un outil leur permettant de voir qui assiste aux événements ainsi qu’un support d’information qui contribue à recruter des nouveaux membres : « C’est comme ça que j’ai rejoint le collectif, j’ai vu un jour sur Facebook qu’il y avait une réunion publique, pour parler des préparatifs de la grève du 14 Juin 2019, je me suis dit il faut absolument que j’y aille » (J). Cependant, lorsqu’il s’agit de manifester une opinion en lien avec les revendications du collectif, les femmes s’exposent moins. En effet, elles se sentent dans une position inconfortable ce qui va amener à ce qu’elles ne s’approprient pas réellement cet espace : « Mais je n’arrive pas à faire un post Facebook. J’ai de la peine, je bloque » (…) « contrairement à ce qu’on pense, il n’est pas plus facile de prendre la parole pour certaines sur les réseaux sociaux. Certaines se sentent plus à l’aise de prendre la parole, de faire passer un message lors d’une manifestation car il y a le groupe et le soutien des autres femmes » (H). L’effet de groupe qui se produit durant les manifestations permet aux femmes militantes de se sentir en confiance et encouragées à s’approprier l’espace public physique. Tandis que l’appropriation de l’espace public virtuel est un acte individuel qui ne motive pas davantage les femmes du collectif à faire des revendications chacune de leur côté sur leurs pages Facebook.

La communication sur la page Facebook du Collectif neuchâtelois

Le réseau social Facebook est utilisé par le collectif neuchâtelois sous la forme de page publique. Le nombre d’abonnés qui suivent la page Facebook du collectif est de 2222. Normalement, une membre du collectif gère tout ce qui est communication sur les réseaux sociaux et les autres membres, qui sont souvent le plus impliquées, peuvent définir le contenu des publications et les messages à diffuser. Ainsi, pour analyser les logiques d’appropriation de l’espace public virtuel, nous nous sommes focalisées sur les publications réalisées durant l’organisation de la mobilisation pour la « Journée des femmes » le 8 mars 2021. Nous avons pu constater qu’une campagne de sensibilisation se déroule sept jours avant la mobilisation du 8 mars que le collectif appelle « un avant-goût du 8 mars ». Les activités sont relayées sur la page Facebook du collectif avec une photo et un texto qui reprend l’esprit de l’évènement. Pour la mobilisation, un évènement Facebook est créé et les participantes peuvent connaître l’itinéraire et le nombre de personnes assistant à la manifestation. Le jour de la mobilisation plusieurs « live » se réalisent sur la page Facebook du collectif. Ces lives restent exposés sur le mur de la page Facebook ce qui fait perdurer cette occupation de l’espace public physique par les militantes. Finalement, ces publications, bien qu’elles servent de support pour les informations et les activités du Collectif neuchâtelois, sont peu visibles car elles sont peu diffusées à travers les likes ou les partages de la part de ses abonnés

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Figure 3 : Journée de la femme du 8 mars 2020 au centre-ville de Neuchâtel
© Facebook du Collectif neuchâtelois

En guise de conclusion :

Nous avons mis en lumière différentes logiques d’investissement de deux espaces publics différenciés, mais perméables entre eux. D’une part, le réseau social Facebook du collectif permet de transmettre des informations à l’externe, d’effacer les distances géographiques entre les collectifs des différents cantons et de dépasser les barrières du temps. D’autre part, les mobilisations dans la sphère publique donnent lieu à l’action collective, suscitent l’engagement, créent un effet de groupe permettent de nourrir la page Facebook du collectif et son contenu, tout en montrant en quoi consiste leurs activités, leurs démarches. De ce fait, le collectif conjugue ses deux espaces pour rendre visible les manifestations publiques, car le numérique sert de support de communication durant ces événements. Finalement le numérique permet de pérenniser l’occupation temporaire de l’espace public physique, c’est pourquoi nous pouvons parler d’une continuité de ces deux espaces.

 

Adriana Medina et Coralie Fayolle