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Conférence Triangle Azur: "Les métiers du journalisme et de la communication et leurs mutations à l'ère du numérique"

 

Jean-Clément Texier, Eric Scherer et Maurizio Canetta

Conférence du nouveau pôle romand en journalisme et communication

Les métiers du journalisme et de la communication et leurs mutations à l'ère du numérique

Conférence donnée lundi 23 mars 2015 à l'Université de Neuchâtel, avec Eric Scherer, Jean-Clément Texier et Maurizio Canetta.

Programme.

Résumé vidéo.

Compte rendu: 

Entrepreneur cultivé, créatif et innovant

Eric Scherer et Jean-Clément Texier dressent le portrait du journaliste et du communiquant de demain

Hégémonie des géants du tech, fiabilité de l’information fragilisée et montée en puissance de contenus para-journalistiques, tels sont les défis que auxquels doivent faire face les journalistes et les communiquant en devenir. Une situation qui présente pourtant des opportunités inouïes, assurent Eric Scherer et Jean-Clément Texier lors d’une conférence organisée le 23 mars par l’Académie du Journalisme et des médias (Université de Neuchâtel) et le Médi@lab (Université de Genève). Modéré par Maurizio Canetta, directeur de la RSI, l’événement célébrait la collaboration «Triangle Azur» des deux institutions.

«Jamais l’univers n’a été aussi rose pour les producteurs de contenus,» insiste Jean-Clément Texier, président de Ringier France SA. Un brin d’optimisme qui s’est fait attendre dans sa présentation, adressée en majorité à des étudiants en journalisme et communication des universités de Neuchâtel et de Genève, dont le futur métier ne serait «pas loin de la péripatéticienne, en ce qui concerne la popularité.» Des futurs professionnels qui devront vivre avec la montée en puissance de la presse promotionnelle et la rumeur contagieuse, qui rend suspecte toute information selon Jean-Clément Texier.

«On vit une des meilleures époques pour faire du journalisme» insiste quant à lui Eric Scherer, directeur du pôle Future Médias de France Télévisions. Si le numérique bouscule aujourd’hui le monde du journalisme et de l’édition, les autres secteurs ne seront pas épargnés. «Demain ça sera l’éducation et la santé» prédit-il. «On est dépassé par les usages des nouvelles générations, par celle des nouvelles audiences qui sont aujourd’hui partie prenante de notre écosystème, dit-il. A vous d’en saisir les commandes !»

Nouveaux paysages de l’information

Les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) sont aujourd’hui les acteurs clés de cette révolution numérique, selon Jean-Clément Texier. Ils constituent un nouvel écosystème de l’information dans lequel les éditeurs traditionnels sont dépassés.

«Aujourd’hui en France, le chiffre d’affaires de Google surpasse la somme de celui de toutes les entreprises de presse, auquel on ajoute celui de tout le secteur de l’édition, dit-il. Les GAFA s’attaquent aujourd’hui aux états et à leurs réglementations, tant le rapport de pouvoir avec les médias traditionnels est devenu déséquilibré.»

Pour Jean-Clément Texier, il s’agit d’un important renversement de paradigme : «Les tuyaux sont devenus les maîtres à penser, les contenus sont là pour nourrir les contenants, et plus le contraire.» Les marques produisent leur propre contenu, qui dépasse la simple publicité. Les titres de presse les plus prestigieux comme le New York Times acceptent aujourd’hui le «native advertising», le publi-reportage version web. «La question est de savoir s’il s’agit d’une nouvelle opportunité ou d’une menace pernicieuse» estime Jean-Clément Texier.

Entrepreneurs et innovateurs

L’avenir du journaliste passe quoi qu’il en soit par sa capacité à s’adapter aux nouvelles formes de consommation d’information et à s’approprier ses nouveaux outils. «Le conservatisme de certains journalistes est parfois sidérant», estime Eric Scherer. «C’est à vous, futurs journalistes de modifier cette culture-là.»

Jean-Clément Texier met lui aussi l’accent sur la capacité à proposer une alternative à l’inertie qui règne dans nombreuses rédactions : «Je crois qu’il faut dans chacune au moins une personne ouverte aux idées innovantes, à la nouveauté.» Lorsque la marge de manœuvre n’existe pas, des opportunités existent ailleurs. «Les tickets d’entrée dans le journalisme sont beaucoup plus faibles aujourd’hui qu’autrefois» dit-il.

Eric Scherer conseille à chaque jeune journaliste de passer un peu de temps à observer comment fonctionnent des start-ups. «Avec un business model innovant, on peut désormais inventer son média à 2, à 3 ou à 4, voire seul, tant l’infrastructure nécessaire s’est allégée» dit-il.

Il faut, selon lui, s’intéresser aux nouvelles formes narratives, et prendre en compte l’économie des médias, ainsi que les «datas» en tant que source d’information journalistique mais aussi en tant qu’outils d’analyse pour la publicité et le marketing.

Pourvoyeurs de culture et de confiance

Si une compréhension de la technologie et de l’entrepreneuriat est devenue indispensable, certaines compétences de bases journalistiques demeurent fondamentales, estime Eric Scherer. «Il s’agit encore de rendre intelligible des choses éparses, de savoir déchiffrer, hiérarchiser et vérifier…»

«Dans un monde où la rumeur, la diffamation, la non-maîtrise de l’information ont augmenté, la confiance et la transparence sont de nouveaux services que les médias installés et les journalistes peuvent offrir au milieu d’un océan de bruit» dit-il. Telle est, selon lui, une des «plus-values» décisives qui constituent l’avenir du journalime. Autre exemple : l’humour -Jon Stewart du Daily Show, étant parvenu récemment à figurer parmi les journalistes les plus fiables aux yeux des Américains malgré le ton décalé et anticonformiste de son émission.

Pour Jean-Clément Texier, la culture demeure un capital incontournable pour tout journaliste. «Avec Libération, Serge July a su décliner un journal en entier grâce à sa culture» dit-il, en recommandant son Dictionnaire amoureux du journalisme (Plon, 2015) comme livre de chevet à tout jeune journaliste.

Agilité, talent et courage

Eric Scherer conclut que le salut du journalisme passera donc nécessairement par ceux qui sauront faire preuve des trois qualités fondamentales que sont l’agilité de réagir et s’adapter rapidement, la lucidité d’identifier des nouveaux talents et de permettre à ceux-ci de mettre leurs qualités au service de leur média, enfin le courage d’expérimenter, d’innover et de prendre des risques.

Une palette de compétences qui, comme le rappelle Maurizio Canetta, a été au cœur de la montée en puissance du journalisme sportif, qui pendant des décennies consistait à rapporter des comptes rendus et des résultats et qui «aujourd’hui est l’exemple-type de la nécessité d’un background économique, médical et technique».

Le grand défi qu’impose cette nouvelle gamme de compétences est, selon Eric Scherer, son caractère paradoxal : «Il faut faire preuve d’un très grande culture générale, tout en développant de multiples compétences très pointues.»

Une palette de compétences et un savoir-faire multiplateforme dont l’enseignement universitaire devient quasi indispensable, faute de clairvoyance, de temps et de moyens au sein des rédactions, souligne Eric Scherer.

Andrew Robotham

 Annik Dubied, Eric Scherer et Patrick-Yves Badillo (g. à dr.)