Communiqué de presse

Les Lumières neuchâteloises au goût du 21e siècle

Neuchâtel, le 26 mai 2005. Pour célébrer le 200e anniversaire de la mort de la romancière néerlandaise établie à Colombier, Isabelle de Charrière, l'Association suisse qui porte son nom, l'Institut de littérature française moderne de l'Université de Neuchâtel et l'Ecole doctorale "Archives des Lumières" organisent, le 3 juin, une journée d'étude consacrée à la littérature de l'émigration suivie d'une lecture-spectacle. Ou lorsque le pays de Neuchâtel du 18e siècle reprend vie...

La Révolution française, et les vagues d'émigration qu'elle provoque, suscitent chez Isabelle de Charrière (1740-1805) une intense réflexion politique, morale, littéraire. Aristocrate néerlandaise établie à Colombier depuis son mariage en 1771, la romancière s'informe, se montre concernée par les événements, exprime son opinion, dans sa correspondance privée et dans des oeuvres diverses: lettres ouvertes, textes de commande, pièces de théâtre, romans.

Favorable aux changements qui s'annoncent et les sachant irréversibles, Isabelle de Charrière est hostile aux idées contre-révolutionnaires, tout autant qu'aux violences révolutionnaires. Soucieuse d'équilibre, elle préfère "l'esprit de discussion" à "l'esprit tranchant et décisif", selon un mot de sa Lettre d'un évêque français à la nation (1789).

Les deux romans d'émigration d'Isabelle de Charrière, Lettres trouvées dans des porte-feuilles d'émigrés (1793) et Trois femmes (1796), mettent en scène la confrontation problématique des opinions, ainsi que les effets d'un exil qui bouleverse les conceptions morales, les hiérarchies sociales, les rapports entre les sexes.

Des lettres comme une empreinte politique et sociale du pays de Neuchâtel au 18e siècle
Les Lettres trouvées dans la neige furent publiées à Neuchâtel entre février et mai 1793. Réédité dans le volume 10 des OEuvres complètes d'Isabelle de Charrière en 1981, ce texte constitue un document particulièrement original de l'histoire politique et du patrimoine littéraire du canton.

En février 1793 en effet, Isabelle de Charrière est sollicitée par Charles-Godefroi de Tribolet, chancelier de la Principauté de Neuchâtel, pour écrire un texte de fiction destiné à apaiser les discordes qui troublent les Montagnes. Les idées révolutionnaires se répandent en effet dans une partie de la population du Locle et de La Chaux-de-Fonds.

Isabelle de Charrière relève immédiatement le défi: se fondant sur les renseignements et les suggestions de son commanditaire, elle imagine une correspondance fictive entre un Français et un Suisse. Le premier demande au second - Neuchâtelois - de lui trouver un logement au Locle: il compte émigrer, se sentant en danger en France, après que sa foi révolutionnaire s'est passablement émoussée au vu des violences jacobines. S'ensuit un échange de dix lettres: les deux amis badinent et s'amusent en tentant d'imaginer un lieu d'émigration idéal en Arabie - puisque Le Locle n'est plus sûr -, en comparant les moeurs et les institutions de la Principauté et de la jeune République française, en commentant le "délire" des révolutionnaires du Haut, qui plantent des arbres de la liberté. Mais les lettres échangées permettent aussi à Isabelle de Charrière de traiter de sujets sérieux: les causes de la dégradation des liens sociaux, les facteurs de la stabilité politique, la nature des institutions, la comparaison des moeurs publiques neuchâteloises et françaises, l'art de gouverner.

Minimisant la gravité des événements des Montagnes, sans doute dans le but d'apaiser les conflits et de rétablir la concorde publique, Isabelle de Charrière prête sa voix à un Neuchâtelois et à un Français qui, en comparant et en relativisant les mérites respectifs de leurs deux pays, invitent à une réflexion sereine et distanciée.

Des lettres mises en scène
La journée d'étude sera suivie d'une lecture-spectacle des Lettres trouvées dans la neige... Mettre en scène une oeuvre non-théâtrale, c'est-à-dire non écrite en vue d'une représentation orale, n'a rien de factice. Il s'agit justement d'explorer l'oeuvre pour découvrir ce qu'elle contient de théâtral.

Si l'on ne perd rien à tenter l'adaptation théâtrale, qu'est-ce qu'on y gagne ? Un nouveau regard, un dialogue entre un écrivain et un metteur en scène, entre un corps et un texte, entre deux époques. On redécouvre ce que l'on croyait savoir. On redonne à la narration son pouvoir d'émotion et sa vie.

Avec Isabelle de Charrière, le dialogue est d'autant plus riche qu'il nous précipite dans une langue et une époque particulières. L'esprit des Lumières et le bouleversement de la Révolution française nous sont offerts encore vibrants, avec les doutes et les espoirs qu'ils ont pu susciter. Une fenêtre s'ouvre sur le passé. Il s'agit certes d'une double fiction, celle des lettres, puis celle du théâtre, mais elle nous rend familière, en définitive, la pensée de l'auteure.


Renseignements : Prof. Claire Jaquier, Institut de littérature française moderne, Faculté des lettres et sciences humaines, Espace Louis-Agassiz 1, 2000 Neuchâtel. Tél. 032 718 1823: le lundi 30 mai, de 10 h à 12 h; le mardi 31 mai, de 13 h 30 à 16 h 30.
E-mail: claire.jaquier@unine.ch


Journée Isabelle de Charrière, 3 juin 2005 « Idées politiques et roman à l'épreuve de l'émigration (1789-1815) », Faculté des lettres et sciences humaines, Espace Louis-Agassiz 1 à Neuchâtel, salle RO 14, de 9 h 15 à 16 h 30

Manifestation de clôture: 17 h 30, Théâtre de la Poudrière, quai Philippe-Godet 22 (face au dépôt des TN) Lecture-spectacle: Lettres trouvées dans la neige, d'Isabelle de Charrière (Adaptation : Matteo Capponi, mise en lecture : Robert Sandoz ; jeu : Virginie Pasche, Bernt Frenkel, Robert Sandoz). Entrée libre