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L'homme de lettres et de culture

Quelle qu'ait été son inclination religieuse pour la Réforme, Jean Du Bellay est incontestablement de ceux qui ont efficacement contribué au renouvellement de la pensée, des arts et des lettres sous le règne de François Ier, sa principale action étant d'avoir, avec Guillaume Budé, incité le roi à créer le Collège des lecteurs royaux, l'actuel Collège de France. Il est un grand amateur d'art, et notamment de statues, qu'il collectionne et qu'il renvoie en France depuis Rome, où il organise des fouilles archéologiques. Dans ses jardins romains comme dans ceux de sa villa de Saint-Maur, ses collections de statues émerveilleront ses contemporains et ses protégés.

Jean Du Bellay est un mécène et au besoin un protecteur pour beaucoup de lettrés, comme en témoignent les dédicaces qui lui sont adressées (voir la fin du t. III de la Correspondance du cardinal Jean Du Bellay). Les livres qu'il a possédés nous renseignent sur l'étendue de sa curiosité, de ses intérêts et de ses relations (voir Loris Petris, « Vestiges de la bibliothèque du cardinal Jean Du Bellay », Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, LXIX (2007), p. 131-145). Jean Du Bellay balance souvent entre l'action et l'isolement dans la réflexion. A Rome, dès qu'il éprouve le sentiment que sa conduite ne convient plus au roi, il aspire à retrouver la douceur du Maine et ses livres.

 

Lui-même est un homme éloquent. Montaigne (Les Essais, I, 10) rappelle encore son brillant discours improvisé devant Clément VII à Marseille le 13 octobre 1533, et Rabelais loue l'éloquence de son discours devant le Consistoire le 6 février 1534 :

"Avoir été mêlé aux affaires au moment où vous vous acquittiez de cette noble ambassade, pour laquelle notre invincible roi François vous avait envoyé à Rome, c'est un titre de gloire; avoir été à vos côtés quand vous portiez la parole sur les affaires du roi d'Angleterre dans ce conseil, le plus sacré et le plus imposant du monde, c'est un bonheur. Quel plaisir nous inonda, quelle joie nous transporta, quelle liesse nous pénétra, lorsque nous vous voyions en train de parler, sous le regard attentif du pape Clément lui-même, sous les yeux admiratifs des juges de cet ordre suprême revêtus de la pourpre, au milieu des applaudissements de tous ! Quelle vivacité brillait dans vos idées, quelle finesse dans vos raisonnements, quelle dignité dans vos réponses, quelle énergie dans vos réfutations, quelle liberté dans votre langage ! [...]" (épître-dédicace de la traduction de la Topographie de l'ancienne Rome de Marliani par Rabelais; trad. M. Huchon dans Rabelais, Oeuvres complètes, Paris, Gallimard, 1994, p. 989-990 ; Correspondance du cardinal Jean Du Bellay, t. I, p. 416).

Du Bellay est aussi un poète néo-latin et ses Poemata paraissent en 1546 chez Robert Estienne dans les trois livres des Odes de Macrin (éd. G. Demerson, Paris, STFM, 2006). Futur chancelier de France et lui-même poète néo-latin, Michel de L'Hospital célèbre les qualités littéraires du cardinal Jean Du Bellay, son protecteur:

Salve, Pieridum Musarum dulcis alumne,
Magnus constrictis pedibus, magnisque solutis
Author, eo vincens Ciceronem, Virgiliumque

Salut, doux nourrisson des Muses de Piérie, toi qui es un grand auteur en vers comme en prose,  qui  l'emportes donc sur Cicéron et sur Virgile. (Michel de L'Hospital à Jean Du Bellay, Carmina, III, 10; août 1546).

Jean Du Bellay met à l'occasion sa plume de pamphlétaire au service de la propagande royale dans des plaquettes anonymes, comme celle de 1544 intitulée Oraison escripte suyvant lintention du Roy treschrestien, aux Serenissimes, Reverendissimes, Tresillustres, Tresexcellens, Magnifiques, Treshauls Seigneurs, & a tous les estas du sainct Empire assemblez en la ville de Spire, publiée à Paris, chez Robert Estienne.

La vivacité de sa plume jaillit souvent dans ses lettres, qui visent avant tout à fournir des informations (le docere de la rhétorique classique), mais qui sont parfois marquées par des tournures stylistiques très expressives, qui visent à plaire et à marquer l'esprit (le placere, second étage de la rhétorique). Les métaphores animales (« ceste veche volpe du Pape », « je voys comme les escrevisses... », « ce paouvre ver de terre que je suis », « ... ce n'est à moy à conseiller ny deconseiller le Roy de ce qu'il en devrait faire ou laisser : en cecy je ne pretends servir que de perroquet, qui dict ce qu'on luy apprend... »), les allusions à la comédie sociale qu'il observe à Rome (« quant au prognostique en toute la comedie qui se joue icy... », « ce theatre de Rome »), les métaphores nautiques (« Nostre nau est en calme, ne povant se remuer sans vent, et cependant les gualeres des Imperiaulx se remuent a coups de rame, et Dieu sçait s'ilz dorment en leurs affaires! ») ou encore des rapprochements inattendus (par exemple la Bible comme texte trop long ! Jean Du Bellay s'excuse d'avoir « escript des bibles non que des lectres... » ; à Jean Pot, il écrit de Rome : « J'adjousteray a la Bible que je vous ay escripte... »). Plus inattendu, surtout de la part d'un ecclésiastique, mais pas si étonnant si l'on se replace dans la perspective de l'humour monastique, si fréquent chez Rabelais, Jean Du Bellay a aussi le sens de l'auto-dérision : « je suys si spiritualisé de par Dieu ou de par l'autre que de peur d'estre fouetté devant, derriere et de tous costez comme j'ay tousjours bravement esté depuys trente ans en cza que ma chair n'en ose plus riens ressentir ne dire ung seul mot qui desroguast a la modestie cardinalesque ».

 

"Quant à votre style, il était d'une telle pureté que vous paraissiez être pour ainsi dire le seul à parler latin dans le Latium, et d'une densité telle que, dans son extraordinaire noblesse, il y avait néanmoins place pour la grâce et l'esprit. Pour moi, j'ai maintes fois remarqué que tout ce qu'il y avait là de gens de goût vous appelait la fine fleur des Gaules, selon le mot d'Ennius [An., IX, 305], et proclamait qu'il n'y eut, de mémoire d'homme, qu'un seul évêque de Paris, qui parlât vraiment en toute liberté [...]"
(François Rabelais à Jean Du Bellay, 31 août 1534, Lyon; épître-dédicace de la traduction de la Topographie de l'ancienne Rome de Marliani par Rabelais; trad. M. Huchon).