Conférence "L'uniformisation, une fatalité journalistique?"
L’information est-elle vraiment condamnée à l’uniformisation? Pour répondre à ce débat lancé par l’Académie du Journalisme et des Médias, Michel Danthe (rédacteur en chef adjoint et responsable du numérique au Temps), Frédéric Pichon (politologue et auteur de "Syrie: Pourquoi l’Occident s’est trompé"), Eric Scherer (journaliste et directeur de Future Media, du groupe France Télévisions) et Eric Hoesli (ancien rédacteur en chef de l’Hebdo et du Temps) ont répondu présents le vendredi 12 décembre 2014.
Géraldine Muhlmann, professeur de science politique à l’université Paris II et journaliste sur France 5, a modéré les discussions. Elle a introduit le débat par un bref rappel historique de l’uniformisation comme problématique journalistique. La pluralité est essentielle pour élever le niveau des débats. Une sélection naturelle de ceux-ci s'impose de fait, où les débats les plus creux vont spontanément disparaître avec le temps. Pour Kant, cet idéalisme journalistique est avant tout nécessaire pour les peuples: il les émancipe. Pourtant le journalisme reste sous le feu des critiques, et notamment en ce qui concerne l’uniformisation de l’information, tant sur la forme que sur le langage. Zola avait déjà exprimé son inquiétude à son époque: "On ne peut pas parler de tout", "on répète tout le temps la même chose", "les sujets et commentaires sont répétitifs".
La journaliste lance quelques pistes de réflexion. Serait-ce dû à un manque de curiosité des journalistes? Des contraintes pressantes sur l'industrie de la presse, de par des délais de plus en plus urgents et des moyens restreints? Des difficultés pour récoler les bonnes informations en amont? Ou serait-ce des choix purement intentionnels, pour satisfaire le public?
Les quatre invités du panel se sont montrés particulièrement inquiets de la situation actuelle. Tous s’accordent à dire que la curiosité des journalistes est devenue insuffisante et que le contexte tend à rendre son exercice de plus en plus difficile. L’instantanéité et le besoin d’urgence poussent les médias d’actualité à aller au plus simple. A force de lisser l’information, le journaliste finit par occulter inconsciemment une réalité bien plus complexe, façonnée par l’histoire et les intérêts propres aux institutions (politiques, économiques ou autres). L’affect et les émotions prennent parfois le pas, et tendent ainsi à influencer la sélection et le traitement de l’information.
À la fois remède et poison à l’uniformisation, le numérique a pris une place centrale dans l’espace journalistique. Les derniers outils en date, notamment les réseaux sociaux, ont révélé leurs formidables potentiels d’enquête, de collecte de l’information ou encore de mise en lumière de paroles d’experts. Toutefois, construits sur des algorithmes opaques, ces plateformes numériques verrouillent en même temps l’accès à l’information, en triant, choisissant et diffusant ce qui tourne en fonction de préférences connues, et en créant ainsi une chambre d’écho. Le journaliste écrit souvent sur ce qu’il a vu et lu sur les réseaux sociaux, et reste sur ce qui suscite l’intérêt. La réalité a dès lors tendance à se lire "en boucle".
Pour lutter contre ce phénomène d’uniformisation, chacun des invités a pu livrer son remède. Le journaliste doit avant tout faire preuve de courage. Celui d’arriver à se questionner, et de se retrouver parfois seul contre de ses collègues. Il lui faut chercher à briser la force d’inertie dans une salle de rédaction. Pour échapper à la dictature de l’instantanéité, il lui faut aussi impérativement cultiver son esprit, et dans la profondeur, notamment via la formation. Cela requiert du temps, qu’il faut être prêt à consacrer. Le journaliste aura toujours un rôle à jouer dans la société, d’autant plus face à une infinité de sources et d’informations: hiérarchiser, expliquer, décrypter et amener de la valeur ajoutée. Il doit garder en tête sa mission, celle de donner du sens à ce qui se passe.