Anonyme
Catéchisme national
Dialogues I et II
Venise, 1848
Présenté par Giuseppe Perelli
Traduit par Guillaume Alonge
Présentation
Au cours des événements politiques de l’année 1848, l’imprimerie Andreola à Venise rassemble et publie en huit volumes organisés chronologiquement une documentation d’origine variée : les actes du gouvernement provisoire de la République de Venise dont Andreola se présente comme le typographe officiel, des avis et pétitions émanant de citoyens et autres écrits divers et variés. Cette vaste collection, intitulée Raccolta per ordine cronologico di tutti gli atti, decreti, nomice ecc. del governo provv. della Repubblica Veneta non che scritti, avvisi, desideri ecc. di Citaddini privati che si riferiscono all’epoca presente, poursuit l’objectif d’illustrer « une époque historique étonnante » et doit donc être accueillie « avec joie par tous ceux qui se souviennent des bienfaits de cette régénération de la Patrie pour les citoyens ». Parmi les documents rassemblés, les pages 567 et 568 reproduisent les deux dialogues d’un Catéchisme national initialement paru dans l’édition du 15 avril 1848 de la Gazetta de Venezia. Le journal, étroitement lié au pouvoir autrichien sous la direction de Tommaso Locatelli, est entre mars 1848 et aout 1849 dirigé par Pacifico Valussi, un journaliste alors proche des idées républicaines.
Le catéchisme est construit sous forme de questions et de réponses entre des protagonistes non identifiés. Il débute par de vives critiques adressées à un Empire autrichien décrit comme une créature infernale à trois têtes affublées d’attributs négatifs faciles à identifier par le lecteur : Ferdinand, Metternich et Radetsky. Tous les Autrichiens sont par la suite qualifiés de bêtes sauvages qui tentent d’arracher au peuple italien sa liberté, son âme, sa pensée et sa foi en Dieu. Ils sont pour cela désignés comme les ennemis de la Patrie. La conclusion s’impose du coup presque d’elle-même : les citoyens ont le devoir de chasser l’étranger par les armes.
Nicola Sanesi, La proclamazione della Repubblica di San Marco (Marzo 1848), v. 1850, lithographie.
La seconde partie poursuit sur le même ton vif : d’abord pour faire l’éloge des vertus italiennes en rappelant que les Italiens descendent des grands héros civiques de la tradition classique, les Caton, les Camille et les Scipion, mais aussi pour dénoncer le péril que représentent « les fils illégitimes d’Italie », c’est-à-dire ceux qu’il faut condamner parce qu’ils espionnent et sèment la discorde au sein du peuple et la confusion des principes justes. Si trois anges régénérateurs peuvent aider l’Italie dans ce moment crucial, Pie IX, Charles-Albert et Leopold II, il est néanmoins clairement dit que le peuple doit s’organiser, se défendre, se fortifier. Il le fera avec la République, dont l’auteur donne une définition lapidaire : « un droit des peuples comme êtres de raison ; une loi qui établit une forme précise de régime et un rapport précis entre la Nation et le Gouvernement ». Il revient donc au peuple et à ses représentants de fonder cette République.
Document
PREMIER DIALOGUE
Q. : Qui êtes-vous ?
R. : Je suis, grâce à Dieu, Italien.
Q. : Qui est votre Dieu ?
R. : Celui qui a submergé le Pharaon et fait pleuvoir le feu sur nos ennemis.
Q. : Combien sont nos ennemis principaux ?
R. : Ils sont deux, l’un est visible et l’autre invisible.
Q. : Quel est l’ennemi invisible ?
R. : Le diable
Q. : Quel est l’ennemi visible ?
R. : L’empereur d’Autriche, vicaire du diable sur Terre.
Q. : Combien de natures a-t-il ?
R. : Il en a deux, l’une humaine et l’autre infernale.
Q. : Combien d’empereurs d’Autriche y-a-t-il ?
R. : Il y en a un seul, mais il est divisé en trois personnes.
Q. : Comment s’appellent ces trois personnes ?
R. : Ferdinand, Metternich et Radetzky[1].
Q. : Quels sont les attributs du premier ?
R. : Le despotisme, l’arrogance et la barbarie.
Q. : Et ceux du deuxième ?
R. : La trahison et l’infamie.
Q. : Et ceux du troisième ?
R. : Le vol, la soif de sang italien et l’ignorance.
Q. : De qui procède Ferdinand ?
R. : Du péché.
Q. : De qui procède Metternich ?
R. : De Ferdinand.
Q. : Et Radetzky ?
R. : De la fornication des deux premiers.
Q. : Sont-ils donc trois ?
R. : Non, il s’agit d’un seul monstre à trois queues.
Q. : Comment ça ?
R. : C’est un mystère.
Q. : Lequel des trois est-il le plus scélérat ?
R. : Ils le sont tous les trois autant.
Q. : Et qui sont les Autrichiens ?
R. : Ils sont moitié ours moitié hommes, mais ils sont tous des bêtes sauvages.
Q. : Quel dommage nous causent-ils ?
R. : Ils nous ôtent la liberté et tentent également de nous ôter l’âme, la pensée, la patrie et même la mémoire de Dieu.
Q. : Arriverons-nous à nous en libérer ?
R. : Il est au moins temps de l’espérer.
Q. : Et de quelle manière devons-nous nous en libérer ?
R. : Par l’union entre nous, qui sommes frères ; par la confiance envers nos représentants ; et par les armes.
Q. : Quelle peine mérite l’Italien qui salit son nom en priant pour les Autrichiens ?
R. : Il mérite la mort et l’infamie au nom de Pie ix, de Charles Albert et de Léopold ii[2].
Raccolta per ordine cronologico di tutti gli atti, decreti, nomine ecc. del Governo provv. della Repubblica Veneta :
non che scritti, avvisi desiderj ecc. dei cittadini privati che si riferiscono all'epoca presente, t. 1, Venezia, Andreola, 1848.
SECOND DIALOGUE
Q. : L’Italie restera-t-elle toujours esclave de l’étranger ?
R. : Non : Dieu a, grâce à ses Anges, désormais accompli l’œuvre de notre rédemption.
Q. : Comment a-t-il pu faire cela ?
R. : Grâce à son omnipotence.
Q. : Quels sont, parmi tous les peuples, les peuples qui ont le plus de force et d’esprit ?
R. : C’est nous, peuples italiens qui sommes nés du sang des Catons, des Camilles et des Scipions, et qui avons été baptisés dans le sang de Ferrucci[3], dans l’ire de Dante et dans le sang des victimes des récents massacres en Lombardie[4].
Q. : Mais n’y a-t-il pas parmi nous des lâches que nous devrions craindre ?
R. : Oui, il y a – quoique méconnus – des fils bâtards d’Italie qui s’abaissent à l’infamie et à l’espionnage.
Q. : Quel dommage peuvent-ils nous causer ?
R. : Ils peuvent semer la discorde, instiller le doute entre nous et nos principes, et propager l’Arrogance, ennemie de l’Égalité.
Q. : Qui nous en sauvera ?
R. : Les Anges régénérateurs, grâce aux lois. Et nos écrivains, qui démasqueront nos ennemis.
Q. : Comment s’appellent ces Anges régénérateurs ?
R. : Pie ix, de Charles Albert et de Léopold ii.
Q. : Sont-ils des hommes ou des dieux ?
R. : Ce sont des hommes comme nous, à qui néanmoins Dieu a fait don de son esprit et qu’il a mis à notre service.
Q. : Où sont-ils nés ?
R. : Au Paradis terrestre, l’Italie, notre patrie commune.
Q. : Dans ce Paradis y-a-t-il l’arbre de la vie ?
R. : Oui, c’est l’arbre de l’Indépendance et de la Ligue italienne. Malheur à ceux qui voudront le toucher !
Q. : Y trouve-t-on également le serpent séducteur ?
R. : Oui, il est venu, déguisé, depuis l’Autriche.
Q. : Rééditerons-nous la chute Adam ?
R. : Non, car nos principes nous ont fortifié contre toute tentation.
Q. : De quelle manière nous ont-ils fortifiés ?
R. : Grâce à la République.
Q. : Qu’est-ce que c’est que la République ?
R. : Un droit des peuples comme êtres de raison ; une loi qui établit une forme précise de régime et un rapport précis entre la Nation et le Gouvernement.
Q. : Qui doit alors fonder la République ?
R. : Le Peuple à travers ses représentants, Peuple qui est seul à connaitre ses propres besoins et ses propres droits.
[1] L'Autriche, en tant qu’empire exerçant son hégémonie sur la péninsule italienne, est ici présentée comme une trinité diabolique respectivement composée de l'Empereur, du Chancelier et du Maréchal.
[2] À la trinité diabolique autrichienne, l’auteur oppose une trinité italienne rédemptrice, composée du Pape, du roi de Sardaigne et du grand-duc de Toscane.
[3] Les patriotes italiens du XIXe siècle font du Capitaine général de la république florentine Francesco Ferrucci (1489-1530) l’un des précurseurs de leur cause et le font ainsi entrer dans leur panthéon national.
[4] Il s’agit évidemment des victimes laissées par les bombardements de Radetzky lors de sa fuite après les Cinq journées de Milan de mars 1848.
Bibliographie
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Adolfo Bernardello, Piero Brunello et Paul Ginsborg, Venezia, 1848-1849. La Rivoluzione e la Difesa, Venezia, Comune di Venezia, 1979.
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Piero Brunello, Colpi di scena. La rivoluzione del Quarantotto a Venezia, Sommacampagna, Cierre edizioni, 2018.
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Franco Della Peruta (dir.), “Oh giornate del nostro riscatto”. Milano dalla Restaurazione alle Cinque Giornate, Milano, Skira, 1998.
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Gian Luca Fruci, “La banalità della democrazia. Manuali, catechismi e istruzioni elettorali per il primo voto a suffragio universale in Italia e in Francia (1848-49)”, Dimensioni e problemi della ricerca storica, 2008/1, p. 17-46.
Maria Serena Piretti, “Almanacchi, catechismi, manuali. I diversi modi di istruire gli elettori”, Dimensioni e problemi della ricerca storica, 2008/1, p. 47-70.
Paul Ginsborg, Daniele Manin and the Venetian Revolution of 1848-49, London/New York/Melbourne, Cambridge University Press, 1979.
Giovanni Ponzo, Le origini della libertà di stampa in Italia, 1846-1850, Milano, Giuffrè, 1980.
Fabio Tafuro, “Senza fratellanza non è libertà”. Pacifico Valussi e la rivoluzione veneziana del Quarantotto, Milano, Franco Angeli, 2004.
Pour citer ce document
Anonyme, Catéchisme national. Dialogues I et II, [Venise, 1849], présenté par Giuseppe Perelli et traduit par Guillaume Alonge, in Olivier Christin et Alexandre Frondizi (dir.), Bibliothèque numérique du projet Républicanismes méridionaux, UniNe/FNS, 26 octobre 2020, Url : https://unine.ch/republicanism/home/bibnum/catechismes/4.html