Communiqué
L’extrême droite et l’extrême gauche plus susceptibles au complotisme
18 janvier 2022
Une vaste étude internationale à laquelle ont participé Adrian Bangerter de l’Université de Neuchâtel, Sylvie Graf de l’Université de Zurich et Pascal Wagner-Egger de l’Université de Fribourg, démontre que les deux extrêmes politiques ont davantage tendance à adhérer aux théories de complot. Et cela d’autant plus si ces groupements sont exclus des organes du pouvoir. L’étude signée par une quarantaine de scientifiques se fonde sur la compilation de travaux menés dans 26 pays et sur plus de 100'000 participant-e-s. Elle vient de paraître dans la revue Nature Human Behaviour.
La théorie du complot est un argumentaire fallacieux consistant à expliquer des situations de crise par la volonté délibérée d’un groupe d’individus malveillants agissant dans l'ombre. Les facteurs individuels susceptibles de favoriser l’adhésion aux idées complotistes sont bien connus : on peut mentionner un faible niveau d'éducation ou certaines caractéristiques individuelles (telles que la schizotypie, la méfiance ou un style de raisonnement intuitif). Mais ce que l’on connaît moins, ce sont les caractéristiques des groupes sociaux qui font le succès de ce genre d’idéologie. Et c’est précisément ce point que cherche à combler cette étude internationale menée sous la coordination de Roland Imhoff, professeur à l’Université Johannes Gutenberg de Mayence (Allemagne).
« La question est de savoir si les extrémistes de droite, mais aussi de gauche, ont tendance à être plus complotistes », commente Adrian Bangerter, professeur à l’Institut de psychologie du travail et des organisations (IPTO) de l’UniNE et co-auteur de l’étude. Historiquement en effet, c’est surtout l’autoritarisme de l’extrême droite qui était associé à des croyances complotistes. Mais certaines données plus récentes montrent que c’est à la fois l’extrême gauche et l’extrême droite qui y sont associées. « Cela suggère des processus psychologiques différents à l’origine d’une telle adhésion, en l’occurrence l’extrémisme en soi et non pas l’idéologie de droite en particulier. Or jusqu’à maintenant, nous ne disposions de données que pour une poignée de pays (et surtout démocratiques). »
L'étude permet de tester si le complotisme est associé à l'extrémisme de gauche ou de droite, et ce dans un échantillon plus grand de pays d'Europe de l'Ouest et de l'Est (comme la Croatie, Hongrie, ou la Serbie), et qui comprend également la Turquie et le Brésil. Au niveau des résultats, la Suisse fait partie des pays de l'échantillon où le complotisme est corrélé à des sensibilités politiques de l'extrême droite.
C’est du côté des idéologies politiques des extrêmes qu’il faut chercher les causes qui font le lit des thèses conspirationnistes. Leurs points communs sont de promouvoir une perception manichéenne et simplifiée du monde, complétée par une vision plus négative et plus stigmatisante de leurs adversaires politiques, ce qui rejoint les idées complotistes.
Dans les détails, l’étude montre que l’influence d’un certain conservatisme social reste associée au complotisme dans l’extrémisme de droite. « Les données montrent aussi un effet de l'exclusion du pouvoir sur la propagation du conspirationnisme, explique Adrian Bangerter. Par exemple, les gens qui votent pour des partis qui ont perdu aux dernières élections ont tendance à être plus complotistes. Leur adhésion aux idéologies complotistes constituerait une manière d’expliquer et de justifier leur exclusion politique. Selon cette explication, ce n'est pas le fait d'avoir des idéologies politiques extrémistes qui prédispose au complotisme, mais le fait d'être exclu du pouvoir. »
Contact :
Prof. Adrian Bangerter
Institut de Psychologie du Travail et des Organisations
adrian.bangerter@unine.ch
Coordonnées de contact complètes dans le communiqué au format pdf
Référence scientifique :
Imhoff, Roland et al., Conspiracy Mentality and Political Orientation across 26 countries. Nature Human Behaviour. 17 janvier 2022. DOI: 10.1038/s41562-021-01258-7