Fermer
_flsh_histoire_choix-resize2000x312.jpg

Benedetto Musolino

 

Catéchisme

Ou instructions provisoires pour la propagation de la Jeune Italie

 

Naples, 1832

 

Version originale

Version pdf

 

Présenté par Antonio Buttiglione

 


Présentation

Benedetto Musolino, jeune avocat calabrais exerçant à Naples, a écrit en 1832 ce catéchisme pour la Jeune Italie, société secrète qu’il venait de fonder avec l’enseignant napolitain Luigi Settembrini[1]. Cette société républicaine était indépendante de celle fondée l’année précédente à Marseille par Giuseppe Mazzini. Si la société opérait surtout dans le Royaume des Deux-Siciles contre la monarchie absolutiste des Bourbons, son horizon de référence était clairement étendu à toute la péninsule italienne. En plus d’être le « parti d’avant-garde » des jeunes radicaux romantiques des Deux-Siciles, avec 12 000 membres dans toutes les provinces, elle était également répandue en Lombardie-Vénétie, en Toscane et dans les États pontificaux. À travers des émissaires qui suivaient les réseaux commerciaux méditerranéens, l’association était en contact avec d’autres groupes républicains et démocrates européens, notamment en France et en Grèce. La Jeune Italie organisa et dirigea entre 1835 et 1847 toutes les tentatives de conspiration et d’insurrection contre la monarchie des Bourbons. Elle fournit ensuite les cadres de la révolution de 1848, tant pour l’insurrection urbaine de Naples du 15 mai que pour la révolution calabraise de Mai-Juin, qui a conduit pendant une courte période à la déchéance de la monarchie des Bourbons et à la formation de Comités de salut public républicains.

Ce texte manuscrit, long et complexe, est particulier dans son genre. En plus de préciser le statut qui régissait tous les aspects doctrinaires, organisationnels et structurels de l’association, il définit en détail un projet politique et institutionnel pour une République Italienne. Ce texte de 51 pages se compose de 90 articles divisés en sept parties. S’y ajoutent 12 autres articles sur la formule du « Serment Italique » que chaque membre devait prêter à l’entrée dans la société. La première, la quatrième et la sixième parties concernent l’« Objet », la « Propagande » et le « Tribunal Secret » de la société. La deuxième, la troisième, la cinquième et la septième s’occupent de définir et d’expliquer la « Division territoriale », la « Hiérarchie », la « Caisse Sociale », le « Drapeau » et les « Couleurs » de la République Italienne.

 

Musolino_1.jpg

 

Les articles esquissent les contours d’un système politique et institutionnel qui conjugue de manière originale républicanisme, démocratie, fédéralisme et exigences de réforme sociale. La nouvelle République Italienne se composerait de trois niveaux institutionnels : les municipalités, les cantons, les provinces. Chaque entité territoriale aurait été dotée d’une large autonomie politique, administrative, fiscale et même judiciaire en ce qui concerne les questions locales, mais le véritable centre du système était constitué par la municipalité. Les citoyens des communes auraient élu au suffrage universel masculin, à la majorité absolue des voix et au scrutin secret les assemblées populaires municipales et les fonctionnaires locaux, à l’exception des fonctionnaires techniques qui auraient été choisis par concours scientifique.

Le système fédéral conçu par Musolino avait été spécialement pensé pour corriger les obstacles et les contraintes du système centraliste qui avait été introduit dans les États italiens par les guerres de la Révolution et de l’Empire, puis avait été en grande partie conservé par les souverains remis sur le trône par le Congrès de Vienne, spécialement par le roi des Deux-Siciles. Comme l’avait dès 1799 remarqué le juriste Vincenzo Cuoco dans son Histoire de la révolution de Naples, cette dernière avait échoué surtout parce qu’elle avait imposé un modèle centralisateur qui supprimait l’autonomie des municipalités locales, les universités et la représentation des parlements publics. Les jeunes radicaux romantiques napolitains de la génération des années 1830-1840, qui avaient lu les études de Cuoco et avaient à l’esprit les modèles fédéraux contemporains, avaient retenu la leçon. La pensée fédéraliste de l’intellectuel italo-suisse Jean Charles Léonard Simonde de Sismondi fut également déterminante dans le développement de leurs idées. Son Histoire des républiques italienne du Moyen Âge était connue dans leur milieu et souvent citée dans leurs écrits.

Mais Musolino connaissait les contradictions et défauts des systèmes confédéraux, et avait probablement à l’esprit les États-Unis d’Amérique d’avant 1787 et la Suisse des années 1830. À l’instar d’autres penseurs du début du XIXe siècle, Musolino voit dans la trop grande autonomie conférée aux entités régionales par les systèmes confédéraux la source de nombreux problèmes politiques menaçant la stabilité et la pérennité de l’État lui-même : localisme extrême de la politique ; lenteur voire paralysie de l’action gouvernementale centrale ; coexistence de systèmes politiques et sociaux difficilement conciliables au sein d’un même pays. Pour Musolino le gouvernement de la République Italienne, établi à Rome, aurait été le seul souverain, compétent de manière exclusive sur la politique étrangère et commerciale et sur les forces armées. En outre, il aurait établi et garanti, avec les autonomies et les compétences des organes locaux, l’uniformité des principes politiques et des droits civils et sociaux sur tout le territoire de la république, qui aurait eu une seule Constitution. De plus, Musolino prévoyait des larges pouvoirs exécutifs pour le « Modérateur » de la République. Il proposait même que, pendant une période transitoire, le pouvoir absolu serait exercé par la dictature révolutionnaire de la société secrète à travers ses organes centraux et périphériques : le « Dictateur », le « Sénat» et les « Capitaines des Municipalités ». Après avoir établi les bases de la réforme politique et sociale, la dictature aurait de toute façon restitué le pouvoir au « peuple souverain », qui aurait élu au suffrage universel masculin l’« Assemblée Constituante ».

 

Musolino_2.jpg

 

En apparence le catéchisme propose une représentation de la « nation italienne » en ligne avec les caractéristiques analysées récemment par l’historiographie du Risorgimento. Une nation fondée sur la parenté entre « enfants d’une même mère », ayant une histoire commune. En réalité, plutôt que la transposition politique d’une communauté culturelle déjà existante, le concept de nation proposé renvoie à un choix politique et civique qui s’identifie totalement avec la république. Non seulement parce que « les provinces et les villes d’Italie » et les différents peuples « ont droit aux mêmes privilèges », tout en conservant leurs spécificités, mais aussi parce que la « république » aurait établi la « justice » et l’« égalité ».

Le catéchisme fait également allusion aux instances sociales. La société elle-même se présentait comme une organisation de secours mutuel, avec une « Caisse sociale » dotée de fonds que les membres mettaient en commun à la disposition des pauvres, recrutés comme soldats pour la future révolution. Il ne s’agissait pas seulement d’opportunisme, mais d’exercer les « vertus républicaines ». Le texte précise en effet que ces vertus consistaient à se consacrer aux « soins municipaux », à écouter « les pauvres et les faibles », à agir contre « l’indigence languissante et avilie », à pratiquer des « œuvres de charité fraternelle, d’intégrité sociale ». En réalité, Musolino avait conçu, avec la réforme politique, une « réforme humanitaire », un système socialiste que la révolution établirait en Italie. Cet élément n’est toutefois pas mentionné explicitement dans le catéchisme, seuls les chefs de la Jeune Italie en avaient connaissance. Musolino, qui connaissait la pensée solidaire et philanthropique du philosophe Tommaso Campanella et les systèmes socialistes de Robert Owen, de Saint-Simon et de Proudhon, soutenait que l’« Équilibre politique » ne devait pas être dissocié de l’« Équilibre économique ». Son système socialiste prévoyait un impôt progressif sur le revenu, la redistribution de la propriété de la terre, et la gestion collective des biens communs, aliénés par l’État ou occupés par des particuliers, par les municipalités.

 

[1] Le catéchisme manuscrit de Benedetto Musolino est conservé dans Archivio di Stato di Napoli, Dicastero dell’Interno e Polizia della Luogotenenza, b. 39, f. 257.

 


Bibliographie

Alberto Mario Banti, La nazione del Risorgimento. Parentela, santità e onore alle origini dell’Italia unita, Torino, Einaudi, 2006.

Francesco Bartolini, « Spazio “naturale” e spazio politico. Le geografie dei federalisti nel Risorgimento », dans Laura Di Fiore et Marco Meriggi (dir.), Movimenti e confini. Spazi mobili nell’Italia preunitaria, Roma, Viella, 2013, p. 199-214.

Giuseppe Berti, « Benedetto Musolino », Studi Storici, 1960, n° 4, p. 717-754.

Giuseppe Berti, « Nuove ricerche su Benedetto Musolino », Studi Storici, 1961, n° 1, p. 30-53.

Antonio Buttiglione, « 1848: Sfera pubblica, movimenti popolari e borghesia radicale nelle Calabrie in rivoluzione», Società e Storia, 2020, n° 167, p. 29-61.

Antonio Buttiglione, « “Il principio santissimo della libertà dei municipi”: rivoluzione repubblicana, autogoverno e radicalismo rurale nella Calabria del 1848 », Il Pensiero Mazziniano, 2019, n° 2, p. 29-33.

Renata De Lorenzo, « Frontiere e confini. La ridefinizione amministrativa del Regno delle Due Sicilie come “cross-cultural change” », dans Luigi Blanco (dir.), Ai confini dell’Unità d’Italia. Territorio, amministrazione, opinione pubblica, Trento, Fondazione Museo Storico del Trentino, 2015, p. 227-244.

Franco Della Peruta, Mazzini e i rivoluzionari italiani. Il “partito d’azione” 1830-1845, Milano, Feltrinelli, 1974.

Benedetto Musolino, Giuseppe Mazzini e i Rivoluzionari italiani, sous la direction de Paolo Alatri, Cosenza, Pellegrini, 1982.

Giuseppe Paladino, « Benedetto Musolino, Luigi Settembrini e i “Figliuoli della Giovane Italia” », Rassegna Storica del Risorgimento, 1923, n° 4, p. 845-889.

Cesare Vetter, Dittatura e rivoluzione nel Risorgimento italiano, Trieste, Edizioni Università di Trieste, 2003.

 

Pour citer ce document

Benedetto Musolino, Catéchisme ou instructions provisoires pour la propagation de la Jeune Italie, [Naples, 1832], présenté par Antonio Buttiglione, in Olivier Christin et Alexandre Frondizi (dir.), Bibliothèque numérique du projet Républicanismes méridionaux, UniNe/FNS, 14 janvier 2022, Url : https://unine.ch/republicanism/home/bibnum/28.html