Almanach phalanstérien pour 1849
Paris, 1848
Présenté par Stéphan Soulié
Présentation
La politisation des almanachs populaires remonte au moins à la Révolution française. Mais la fin de la Monarchie de Juillet et les débuts de la Seconde République sont des périodes d’intense mobilisation de ces petits livres au prix modique qui connaissent une large diffusion au sein des classes populaires urbaines et rurales. À partir de 1840, les almanachs républicains et socialistes se multiplient, contournant parfois la censure. La révolution de 1848 accélère le phénomène, notamment à Paris qui connaît une floraison de titres. L’almanach n’est plus seulement ce véhicule d’un savoir pratique et d’un imaginaire enchanté qui, selon certains détracteurs, aurait contribué au maintien des citoyens passifs dans une relation de sujétion politique et sociale. Dans un monde où l’accès à la lecture est encore réduit, il est devenu un instrument d’éducation politique et de propagande. Ainsi que l’écrit le journal Le Constitutionnel quelques mois avant la révolution de Février, « il y a neuf maisons sur dix où l’on ne trouve guère que ce livre » ; l’almanach y fait ainsi office de « journal annuel ». L’établissement du suffrage universel masculin en 1848 accentue sa politisation et en fait un levier de mobilisation électorale.
L’Almanach phalanstérien connaît une large diffusion depuis sa première édition pour l’année 1845. La préface du volume de l’année 1848 présentait l’entreprise éditoriale comme une « œuvre de propagation et non de spéculation » au service de l’éducation et de la propagande de « l’École » sociétaire animée par les disciples de Charles Fourier. La collection des almanachs devait ainsi former « la première pièce de la petite Bibliothèque phalanstérienne dont toute personne sympathique doit être armée pour faire de la propagation autour d’elle ». L’Almanach pour l’année 1849, publié entre l’adoption de la Constitution et les élections présidentielles de 1848, accorde une place inédite à l’actualité politique. En tête du livre est reproduit le « manifeste électoral » publié en mars dans la Démocratie pacifique, l’organe fouriériste dont est soulignée « l’étroite parenté » avec l’almanach. Dans ce texte signé par Victor Considérant et les chefs de file de l’école sociétaire, s’exprime avec éloquence un évangélisme républicain et socialiste :
« Français nos frères ! L’Évangile du Christ, le prolétaire de Nazareth, est le vrai code de la démocratie, car il est le code de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. – Que l’Assemblée nationale soit une Assemblée d’hommes pénétrés de la flamme évangélique, et l’esprit saint, l’esprit de Dieu et de l’humanité, sera au milieu d’elle, et l’heure de la rédemption définitive de l’humanité par la SCIENCE et l’AMOUR aura bientôt sonné ».
Pour les disciples de Fourier, la révolution de 1848 devait ouvrir la voie à la « confédération des peuples libres » et à la « république universelle ».
Placé après les pages consacrées aux saisons, au calendrier, aux repères chronologiques et astronomiques, aux signes du zodiaque, aux marées, etc., le cœur de l’Almanach pour l’année 1849 est formé par « l’histoire de l’année » rédigée par Victor Hennequin, l’un des rédacteurs de la Démocratie pacifique. Cette longue éphéméride politique est un véritable livre dans le livre : près de 80 pages, soit environ un tiers du volume. Elle se substitue aux brefs « annuaires » des années précédentes :
« En présence d’événements si graves et sur lesquels il est essentiel de fixer l’opinion publique, nous ne pouvons nous renfermer dans le laconisme habituel des annuaires. Tout en divisant notre récit par mois, nous lui donnerons assez d’étendue pour n’omettre aucun fait important et pour joindre au fait l’appréciation, à l’événement l’idée ».
Cette mutation éditoriale était annoncée dès la préface déjà citée du volume paru à l’automne 1847 : l’almanach devait prendre le caractère d’une « revue annuelle » où seraient notamment « enregistrés avec des développements substantiels tous les grands événements sociaux, religieux et politiques de l’année ».
Le long article de Victor Hennequin propose le récit et l’interprétation fouriériste des événements survenus en France et en Europe entre octobre 1847 et octobre 1848, mettant en scène la participation de l’école sociétaire à l’effervescence politique de la période : les disciples de Fourier n’ont certes pas été aux premiers rangs d’une révolution qu’ils n’avaient pas souhaitée, mais ils ont dès la fin 1847 vu venir la « convulsion violente » qui se substituait à la « pacifique transformation » qu’ils s’étaient efforcés de préparer. La révolution, devenue inéluctable, est donc vue comme l’agent de la providence dont l’effet doit être « décisif sur le sort de l’humanité ». La République ne devait pas être considérée comme un but en soi, mais comme le « moyen » de la réforme sociale. Or, du point de vue fouriériste, seul le « socialisme organisateur et pacifique » pouvait accomplir cette transformation. Pour cela, il fallait que la « science sociale », telle que l’école sociétaire la concevait, se diffusât largement dans l’ensemble de la société. Mais, à la fin de l’année 1848, le bilan apparaît de ce point de vue accablant pour la république naissante à laquelle cette science a dramatiquement manqué. Le seul « socialiste » du gouvernement, Louis Blanc, n’avait-il pas eu le tort « d’enfermer le socialisme tout entier dans ses idées incomplètes » ? Le gouvernement n’est-il pas resté sourd aux mesure fraternelles proposées par Victor Considérant et qui auraient pu éviter les tragiques journées de Juin ? Et, à l’automne, l’Assemblée n’a-t-elle pas balayé avec mépris la demande formulée par le député fouriériste que lui fût donnée la possibilité de développer devant la représentation nationale ses théories et ses conclusions pratiques sur l’organisation du travail ?
L’entreprise de diffusion des idées sociétaires apparaît donc plus que jamais, à l’automne 1848, comme une nécessité. L’Almanach phalanstérien a vocation à toucher un lectorat plus large que la Démocratie pacifique et doit contribuer ainsi au rayonnement de la science sociale fouriériste. Il offre une large palette de vecteurs écrits et, en moindre mesure visuels, de diffusion de la doctrine. Le livre propose ainsi des extraits de textes dogmatiques de Fourier et de ses disciples (Victor Considérant surtout), mais l’exposition des idées de l’école sociétaire prend également des formes littéraires moins austères. Celle, notamment, d’une correspondance fictive d’un « chinois à la recherche du communisme », observateur des événements de 1848, que Victor Hennequin amène à conclure que « les idées phalanstériennes, loin de pousser au communisme violent, sont […] le seul moyen efficace de le neutraliser et de le guérir » (p. 190) ; celle également d’un dialogue imaginaire, « Le socialisme au presbytère », qui met en scène la libre discussion, l’échange pacifié, conforme à l’idéal d’une démocratie pacifique, au cours duquel un médecin et maire tente de rallier ses interlocuteurs au socialisme phalanstérien. La poésie politique et sociale des poètes, chansonniers et goguettiers ouvriers trouve par ailleurs sa place dans le volume avec les « stances prophétiques » d’Antony Méray (pastiche des prédictions et prophéties caractéristiques de la littérature de colportage) et les textes de Pierre Lachambeaudie (« la pauvreté, c’est l’esclavage ») et de Savinien Lapointe (« Le mendiant »).
Bibliographie
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