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Dictionnaire politique

Encyclopédie du langage et de la science politiques

 

Paris, 1842

 

Version originale

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Présenté par Karl Zimmer

 


Présentation

Le Dictionnaire politique dit de Pagnerre est depuis longtemps considéré comme « très représentatif des idées républicaines[1] » sous la Monarchie de Juillet. La première édition, publiée en 1842, fut suivie de cinq autres, dont la sixième et dernière date de 1860. Dès la fin du siècle, Iouda Tchernoff l’utilise dans son ouvrage sur la constitution du « parti républicain »[2]. Robert Balland, puis Hélène Landre s’y appuient pour faire la biographie de Louis-Antoine Pagnerre (1805-1854)[3]. André Jardin et Raymond Huard l’évoquent dans leurs synthèses sur le libéralisme et sur la naissance des partis[4], et bien des historiens le mobilisent comme un outil ou comme une source parmi d’autres[5]. Seul Ludovic Frobert en a toutefois proposé une analyse minutieuse[6].

La rédaction du Dictionnaire est un projet politique en soi. Les premiers articles, qui sont mensuellement publiés dans la presse nationale et départementale entre 1839 et 1841, font œuvre de propagande. L’objectif de leur compilation est avant tout pratique : définir une langue commune à l’opposition. L’ouvrage doit être utile aux hommes politiques, aux publicistes, aux juristes, etc. L’introduction est confiée à Étienne Garnier-Pagès (1801-1841), mais cette figure de la gauche parlementaire décède en 1841 sans avoir rendue la copie finale. Son frère Louis-Antoine (1803-1878) transmet l’ébauche à l’éditeur en précisant qu’elle lui avait été souvent lue. L’introduction de Garnier-Pagès, dont le portrait ouvre les premières pages d’un Dictionnaire qui lui également dédié, est donc publiée à titre posthume.

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Participer à la rédaction du Dictionnaire est un acte militant. Le volume veut jouer le rôle de maison commune aux diverses tendances, associations et feuilles républicaines. Il veut aussi servir de pont entre les différentes générations. Cinquante-sept auteurs participent d’une entreprise politique et éditoriale purement masculine : des députés modérés comme Louis de Cormenin (1788-1868) et Hortensius de Saint-Albin (1805-1878), des jeunes radicaux comme Elias Regnault (1801-1868), Félix Pyat (1810-1889) ou Victor Schoelcher (1804-1893), ou encore des personnalités comme Félicité de Lamennais (1782-1854), Louis Blanc (1811-1882) et Armand Marrast (1801-1852). Mais Pagnerre, véritable cheville ouvrière du projet, fait également appel à ses réseaux provinciaux. La plume du petit groupe des républicains sarthois est par exemple fortement mobilisée autour de Barthélémy Hauréau (1812-1896).

Ce livre monumental (944 pages et des milliers d’entrées) s’inscrit dans le fourmillement éditorial de l’après 1830. Le sous-titre – « Encyclopédie du langage et de la science politiques » – en dit long sur son éclectisme : les références à l’Antiquité voisinent celles aux philosophes des Lumières et à la Révolution française. Les entrées révèlent une forte attention portée au vocabulaire historique, aux faits religieux, aux questions internationales et aux polémiques politiques du moment. Mais que nous apprend ce dictionnaire sur la vision idéologique d’auteurs qui font alors face au défi principal de circonscrire un camp démocratique ? Dans ces années, la souveraineté nationale apparaît comme un principe fondateur partagé par les libéraux, mais la stratégie pour faire advenir de nouvelles institutions fait débat. Le Dictionnaire, qui ne revendique la perspective républicaine que comme horizon politique, se pose clairement du côté de la réforme et de la légalité. Sans condamner explicitement les tentatives insurrectionnelles de 1832, de 1834 et de 1839, la prise d’armes est considérée comme une tactique stérile et illégitime, sauf face au despotisme. Contre l’orientation révolutionnaire d’Auguste Blanqui (1805-1881), d’Armand Barbès (1809-1870) et de François-Vincent Raspail (1794-1878), le projet de Pagnerre peut être lu comme le pendant théorique du journal Le National.

Le traitement de la question sociale révèle les interrogations que se posent alors les républicains face aux mutations de l’économie, en particulier face aux conséquences sociales de l’industrialisation. Au tournant des années 1830 et 1840 s’opère une distinction entre ceux qui considèrent prioritaire l’extension du suffrage et ceux qui souhaitent la conjuguer avec des réformes sociales[7]. Ces derniers se regroupent à partir de 1843 derrière Alexandre Ledru-Rollin (1807-1874) et autour du journal La Réforme. Les entrées « dette publique », « emprunt public », « crédit », « économie politique » et bien d’autres tentent de définir le rôle d’un État démocratique dans l’économie. Le Dictionnaire prend ainsi toute sa place dans les débats entre tenants du credo libéral et nouveaux penseurs socialistes : des attaques cinglantes sont écrites contre les « industrialistes », les « niveleurs », l’« anarchie » ou le « babouvisme », mais l’« association » et la promotion de la petite « propriété » par la République sont envisagées comme rempart à l’indigence et au communisme[8].

Ce dictionnaire donne en définitive à voir une pensée dynamique, en train de se forger, et donc des tensions entre divers projets républicains. C’est là que réside son paradoxe : en essayant de définir un républicanisme modéré, il fragilise le projet d’union des républicains qu’il appelle de ses vœux.

 

[1] Pierre Rosanvallon, « Les dilemmes de la démocratie », Histoire moderne et contemporaine du politique, cours du collège de France, p. 458.

[2] Iouda Tchernoff, Le Parti républicain sous la monarchie de Juillet. Formation et évolution de la doctrine républicaine, Paris, A. Pedone, 1901.

[3] Robert Balland, « Pagnerre et ses amis », Revue d’histoire du xixe siècle, 1950, n° 187, p. 213-222 ; Hélène Landre, « Laurent-Antoine Pagnerre (1805-1854) : le combat pour la république d’un libraire éditeur oublié », Trames, 2002, n° 10, p. 319-351.

[4] André Jardin, Histoire du libéralisme politique, Paris, Hachette Éducation, 1985, p. 343-366 ; Raymond Huard, La naissance du parti politique en France, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, p. 47-82.

[5] Voir, par exemple, Éric Anceau, « Barthélemy Hauréau (1812-1896). Itinéraire politique d’un grand esprit du xixe siècle entre Le Mans et Paris », Revue historique et archéologique du Maine, 2006, n° 67, p. 109-131 ; Pierre Karila-Cohen, Monsieur le Préfet. Incarner l’État dans la France du xixe siècle, Champ Vallon, 2021 ; Xavier Mauduit, « Troisième république, à l’aube des partis politiques », Le Cours de l’histoire, France culture, 25 mai 2022.

[6] Ludovic Frobert, « Republicanism and Political Economy in Pagnerre’s Dictionaire Politique (1842) », History of European Ideas, 2011, n° 37/3, p. 357-364.

[7] Alexander Gourvitch, « Le mouvement pour la réforme électorale (1838-1841) (suite) », La Révolution de 1848. Bulletin de la Société d'histoire de la Révolution de 1848, 1915, n° 64, p. 265-288.

 


Pour citer ce document

Dictionnaire politique, [Paris, 1842], présenté par Karl Zimmer, dans Olivier Christin et Alexandre Frondizi (dir.), Bibliothèque numérique du projet Républicanismes méridionaux, UniNe/FNS, 13 décembre 2022, Url : https://unine.ch/republicanism/home/bibnum/33.html